Deuxième volet de poèmes proposés par Les Itinéraires poétiques.
« Des Poème pour tenir le coup »
POÈME POUR TENIR LE COUP #11
paupières closes
lèvres gonflées
les bras lourds
se mouvant
avec lenteur
et tant de secrets
dans ses formes
ses courbes
la tiédeur
de sa nuit
elle est érigée
au-dessus de moi
qui m’érige
en ses flancs
celle qui étend
sur moi
l’abondante
ramure de
son chêne
me berce
du murmure
de ses feuilles
me comble de
toutes les richesses
de ses eaux
© Charles Juliet, in Affûts, éd. P.O.L., 1990
POÈME POUR TENIR LE COUP #12
Tu voudrais tendre un carré blanc
au revers sombre de tes paupières
fermées dans la nuit la plus noire
tu voudrais prendre ce carré blanc
y enfouir ton visage y glisser toute
et rien ne vient qu’un bleu froissé
chiffon de fatigue flottant rêveur
aux cils fins de l’enfance épargnée
qui mord la vie au cou hardiment à
belle dents rieuses de soif rouge
MÉRÉDITH LE DEZ et Emmanuelle Boblet in Paupières closes, éd. Mazette, 2017
POEME POUR TENIR LE COUP #13
BLANCHI
Pour Christiane et Aliouane Diop*
Se peut-il donc qu’ils osent
me traiter de blanchi
alors que tout en moi
aspire à n’être que nègre
autant que mon Afrique
qu’ils ont cambriolée
Blanchi
Abominable injure
qu’ils me paieront fort cher
quand mon Afrique
qu’ils ont cambriolée
voudra la paix la paix rien que
la paix
Blanchi
Ma haine grossit en marge
de leur scélératesse
en marge
des coups de fusil
en marge
des coups de roulis
des négriers
des cargaisons fétides de l’esclavage cruel
Blanchi
Ma haine grossit en marge
de la culture
en marge
des théories
en marge des bavardages
dont on a cru devoir me bourrer au berceau
alors que tout en moi aspire à n’être que nègre
autant que mon Afrique qu’ils ont cambriolée
In Pigments, éd. Guy Levis Mano, 1937 ; éd. Présence africaine, 1972
POEME POUR TENIR LE COUP #14
Six décennies et je l’admets
Je refuse tout ce qui interdit les sens
Tout ce qui nous embourbe
Nous entourbe
Nous réduit à moins que nous-mêmes
La nature nous a construits autres
Joyeux et généreux
C’est là le ravissement de l’incertain
Le reniement de tout ce qui nous encastre
Et nous empêche d’être
Le simple fait d’une joie
D’une tendresse
D’un orgasme rieur
Je ne veux d’aucun masque
Aucune voile
Aucune croyance
Qui m’interdise d’être
Vraiment ? me dit-il
Peux-tu le prouver tout de suite ?
Et j’ai ri
Ne ferme pas la porte contre l’orgasme qui s’annonce
Ni ses fêlures ni sa vigueur
Laisse monter la marée du sang
Qui ravage l’ordinaire
Toute terreur est propice
À l’agenouillement propitiatoire
Ainsi a-t-il parlé
In Danser sur tes braises suivi de Six décennies, éd. Bruno Doucey, 2020
POÈME POUR TENIR LE COUP #15
SIESTE
Qui de nous deux savait
jusqu’où retentiraient nos rires
Dans la trêve de l’eau
ton corps se fait une peau proche de la mienne
En mains mêlées
nous vivons dans la persistance du jour
attentifs à l’appel de nos gestes courbés
et dans la géométrie du rêve
muscles et nerfs noyés
le temps coule en présages circulaires
Ô vie lovée
Ô vie larguée
Qui de nous deux savait
jusqu’où s’élèveraient nos jeux
Une porte qui grince
le chant de draps froissés
la parole en noyau
dans la nuit douce des métaux
et sur les rides éblouies du mur
la floraison vorace de midi
in Motifs pour le temps saisonnier, PJO, 1976 ; rééd. in Nomade je fus de très vieille mémoire, anthologie personnelle, éd. Bruno Doucey, 2012
POÈME POUR TENIR LE COUP #16
Je veux bien essayer au bord mais avec toi.
Je vois ta main ton bras, et le deuxième aussi m’entoure
quand la lumière baisse.
Chacun s’allonge avec l’autre, calmant son ombre.
Un doigt parfois suffit
Au vertige de te toucher
Pas disparu
Et puis le ciel !
Qui restera,
Lui, immense,
mais toi aussi, immense et tiède.
Serrée entre tes bras et le regard sur la montagne,
Je ne l’aime pas autant, l’éternelle.
Tendres flancs humains.
C’est léger une main qui caresse, qui va revenir,
Si légère que nous continuons.
Il faut car le temps nous pose plus haut.
in Iris, c’est votre bleu, éd. Le Castor Astral, 2008
A vos crayons !
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